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Gérard Zwang

COUPER LES PETITES FILLES. UN CRIME ABJECT

préface au livre de Louisiane Dore-Miloch

Le Drame de l'Excision,

éditions Courcelles Publishing

 

 

Un charmant souvenir d’enfance

Vous êtes une jolie petite africaine de trois ans, une « délicieuse négrillonne » auraient dit les belles dames blanches à ombrelle se promenant sur les rives du Fleuve, aux temps de la reine Victoria. Joyeuse et insouciante, vous vous amusez bien avec vos frères et sœurs, avec vos petits amis du village. Et puis un jour votre mère vient vous chercher et vous ramène à la case. Là une bonne femme que vous n’avez jamais vue, mais qui a l’air revêche, vous dévisage d’un air entendu, et confirme à votre mère que c’est bien le moment. Et votre bonne maman s’assied, vous prend sur ses genoux et, de façon imprévue, vous coince les bras sous les siens et saisit vos genoux qu’elle écarte. Qu’est-ce qui se passe donc ? Car la bonne femme se met à genoux devant la chaise, s’empare d’un rasoir qu’elle tire de son boubou, elle vous pince de façon bizarre et alors, horreur, approche son outil de votre corps et vous inflige une douleur abominable, atroce, impensable, suffocante. Vous hurlez, vous vous débattez, mais votre mère ne vous lâche pas, attendant d’être sûre que « c’est fait ». Oui, c’est fait, le mal est fait, c’est sûr, et l’endroit ne vous procurera jamais de plaisir. Vous saignez, malgré l’emplâtre qu’on vous inflige. Pendant des jours faire pipi va devenir une torture, vous pleurez, plus question de courir, de patauger dans le marigot. Et au lieu de vous plaindre maman vous assure que vous voilà « bien propre », et désormais « une grande fille ». Elle est toute fière…

C’est sur les bords du Nil que vous êtes née. Vous êtes une petite fille normale, pas plus dissipée ni désobéissante que les autres. Et pourtant vous savez qu’un jour, alors que vous n’avez rien fait de mal, et qu’il n’y a pas de raison de vous infliger une terrible punition, il va vous arriver quelque chose d’horrible. Ce qui est arrivé à votre grande sœur comme à ses copines, qu’on a entendues gueuler, et gémir pendant huit jours. Après que soit passée une affreuse mégère couverte de voiles noirs. Mais vous, c’est chez le docteur qu’on vous emmène. Pour vos sept ans. Son cabinet est bien modeste, dans une petite maison qu’il a pu acheter avec ses maigres honoraires, dont une bonne part provient de ce qu’il va vous faire. Et qui vous fait peur, car son visage fermé, comme celui de votre mère, ne laisse rien présager de bon, tandis qu’il installe d’inquiétants outils brillants. Vous voilà sur sa table, vous voilà attachée, avec les jambes écartées. Cet endroit mystérieux qui se trouve entre vos cuisses, celui qui fait pipi et que vous chatouillez quelquefois, toute seule, avec un certain agrément, cet endroit secret se trouve complètement exposé; pour votre honte, puisqu’on vous a toujours dit de le cacher et d’ailleurs aucune grande personne ne le montre jamais. Et c’est là que le cruel docteur farfouille avec sa main gauche avant que, d’un coup sec de la main droite il ne vous tranche cela précisément qui vous donnait du plaisir, et vous fait maintenant ressentir une douleur insensée, telle que vous n’en avez jamais subie. Voilà pourquoi votre grande sœur a tellement crié, et pourquoi vous criez à votre tour, convulsée de souffrance. Et puis on vous libère, on vous pose un paquet de coton sur la plaie qui saigne tout rouge, une culotte par là-dessus, que votre mère avait amenée ; après quoi elle paye le docteur tout content, puisque grâce à son habileté « tout s’est bien passé ». Une chance que la séance de torture s’arrête là. Seriez-vous née soudanaise ou somalienne qu’on aurait, en complément du programme, incisé les grandes lèvres de votre pauvre petit sexe martyrisé, ensuite réunies par des agrafes ou, plus écologique, de grandes épines d’acacia…

Votre pays, c’est le plus grand pays musulman du monde. L’Indonésie au climat si clément en saison sèche, aux îles enchanteresses si prisées des touristes. Vous avez dix ans et jusqu’ici vous avez vécu une jeunesse insouciante, sans autres misères que les petites maladies et les chamailleries entre copines. Un jour on annonce que votre petite île va recevoir la visite de « spécialistes » offrant aux parents leurs bons offices pour «s’occuper» des fillettes qui avaient été « négligées ». Débarquent des dames qui s’installent dans un local prêté par la municipalité ou un généreux croyant. Ce sont, paraît-il, des sages-femmes. En tout cas, bien voilées de blanc, le foulard islamique sur la tête, des femmes « craignant Dieu ». Et pourtant ce qu’elles commettent n’a jamais figuré dans le Coran. Votre mère vous a amenée, comme le sont d’autres fillettes, que l’on admet chacune à son tour, un peu inquiètes car celles que l’on voit sortir sur le côté sont en pleurs et flageolent sur leurs jambes. Quand on vous introduit, vous voyez quatre dames devant une grande table. On vous y fait monter et avant que vous n’ayez eu le temps de souffler deux dames vous enlèvent votre culotte et s’emparent de vos jambes, qu’elles écartent. La troisième vous immobilise les bras. Et la quatrième, armée de ciseaux bien affûtés, vous coupe à vif cette petite languette de chair que vous aviez sentie si sensible. Vos cris, votre sang n’émeuvent guère les opératrices. On vous fait remettre votre culotte et… hop ! à la suivante !

Voilà les façons les plus courantes de perdre son clitoris, comme il s’en est perdu, et s’en perd des millions chaque année. Mais il y en a d’autres. La façon « historique-pittoresque », version Afrique Noire. Lors de l’Initiation regroupant pendant huit jours la classe d’âge qui allait « y passer », entre dix et quatorze ans. Dans une cabane édifiée en forêt, ou dans la brousse, les adolescentes, sous la houlette de la matrone-initiatrice apprenaient les contes et légendes de la tribu, et répétaient les si charmants chants folkloriques d’Initiation. Le soir, avant de dormir, elles devaient toutes se masturber, pour bien savoir ce qu’elles allaient perdre, leur wizougoré (dialecte manja), le « gardien du village ». Le grand jour advenu on les paraît, on leur peignait le visage en blanc, puis la bonne matrone, sous les yeux des copines et des mères conviées à la cérémonie, les coupait l’une après l’autre, maintenues à terre par des concélébrantes bénévoles. Un bâton dans la bouche les empêchait de gueuler trop fort. Quand elles avaient toutes été rectifiées, elles se réunissaient pour allégrement chanter en chœur « je suis née avec un clitoris pour ressentir le plaisir. Tu nous l’a coupé, comme on te l’a coupé »… etc. Et une promotion de plus ! La matrone officiante devenait la marraine des initiées, révérée et honorée, pour les avoir « purifiées », devenues de vraies femmes, bonnes pour le mariage et les grossesses... Des façons moins cérémonielles ont succédé, au XXe siècle, à ce folklore joyeux mais bien désuet voire dangereux puisque, risques et périls de l’Initiation, certaines promues succombaient par hémorragie ou infection.

Toujours africaine, la méthode « surprenante-estivale » touche ces grandes filles élevées en Europe, en France, par des parents d’origine africaine bien intégrés, et assez aisés pour payer à leurs rejetonnes des vacances dans leur berceau familial. Les grands-mères, les tantes, qui ne les avaient jamais vues, sont ravies de les accueillir et de les choyer. Mais là, grosse déception, ces adolescentes si jolies et si bien élevées n’ont toujours pas été excisées. Quelle négligence ! Heureusement, l’exciseuse locale accepte, contre un petit cadeau, de s’occuper d’elles. On les prévient qu’il est temps qu’elles deviennent de vraies femmes, même si ça fait un peu mal. Et comme leur mère va être contente ! Tête de l’enseignante, de l’hôtesse de l’air, quand elle voit revenir ses filles mutilées !

La façon occidentale-immigrée se pratique en « pays développé ». Dans les immeubles communautaires, les banlieues paisibles ou agitées. Maman a été contactée par une « femme de bien », ou on la lui a recommandée, quand elle s’est avisée qu’il était temps de s’« occuper » de sa petite fille. Moyennant une petite rétribution la dame vient à domicile. Elle officie dans la cuisine ou dans la salle d’eau quand il y en a une, ce qui fait « hygiénique ». Sans garantie que « tout se passe bien ». Car si ça saigne beaucoup et que, par timidité, on ne fait appel au médecin que trop tard, le petit ange peut partir directement au Ciel. Et l’école peut aussi embêter les parents, pourtant si bien attentionnés, quand elle s’inquiète de l’absence de Kesso ou de sa mine défaite, de sa démarche à petits pas craintifs… Le médecin scolaire peut découvrir le pot aux roses… Au tribunal, après avoir chanté son petit refrain sur la déculturation et les rites socialisants, l’avocat distingué dira que la maman ne maîtrisait pas suffisamment notre langue pour comprendre les interdits occidentaux lors de son débarquement en France; à moins, cas classique, qu’il ne s’agisse d’une famille de sans-papiers, ignorant tout de la P.M.I., et qu’à la persécution policière l’Institution répressive ne veuille odieusement ajouter une lourde condamnation, pour ce que la famille de la petite Fatou considérait comme une pratique bienfaisante.

Rien de toutes ces tracasseries et péripéties déplaisantes avec la méthode qu’on pourrait nommer « rationnelle-scientifique ». Cela se passe dans un bloc opératoire. On agit sous anesthésie générale et asepsie. Un « chirurgien » (les gens malintentionnés diraient un malandrin) exécute une « clitoridectomie propre », avec hémostase et suture des zones cruentées. Comme certains praticiens, en particulier londoniens, abominables puritains le pratiquèrent, au XIXe siècle ; pour « guérir » certaines malheureuses adonnées à la « masturbation compulsive ». L’actuel établissement « de soins » peut siéger au Moyen-Orient, à Alexandrie, à Dubaï, où l’on chouchoute les filles de milliardaires pétroliers. Mais en Occident aussi, ne serait-ce, encore, qu’à Londres, où de pieux plasticiens pakistanais pratiquent l’intervention pour une somme raisonnable. Leurs tarifs sont indiqués dans des bandes-annonces télévisées par la BBC…

Clitoridectomie propre, excision artisanale (sale !), le résultat demeure néanmoins le même : le clitoris perdu ne repousse jamais. Et c’est une grosse perte.

A quoi sert donc le clitoris ?

La réponse est simple : à mettre en route la physiologie de l’orgasme féminin. Toutes les femelles mammifères sont dotées d’un clitoris, des souris aux baleines. Organe saillant au devant de l’orifice génital assurant la copulation, il est muni de récepteurs spécialisés dont la stimulation prodigue une gratification sensitive de récompense. On ne prend pas les mouches avec du vinaigre, et des créatures aussi évoluées que les animaux à sang chaud doivent trouver un certain « bénéfice » à l’accomplissement de « devoirs biologiques » dont dépend leur survie, et celui de leur espèce. C’est-à-dire que les excitations clitoridiennes précédant l’accouplement, puis l’accouplement lui-même, par contact avec l’organe mâle introduit, procurent à la femelle d’agréables sensations ; pour la « récompenser » de se livrer à ce comportement exigé par son espèce pour se maintenir sur Terre.

La femelle humaine ne fait pas exception, et toutes les mamans façonnent dans leur ventre le clitoris de leurs petites filles. A ceci près que le clitoris humain possède de remarquables singularités. La première est sa relative petite taille, par rapport, par exemple avec celui des guenons anthropoïdes ; alors que le clitoris des singes femelles est fort saillant, proéminent, celui des humaines reste de dimension modeste, sa plus grande partie enclose entre les grandes lèvres de la vulve. La deuxième est l’intrication de son revêtement cutané (le capuchon) avec ces formations anatomiques absolument originales que sont les petites lèvres (les nymphes). L’espèce humaine est la seule à posséder ces replis cutanés qui ornent gracieusement la fente vulvaire et protègent son fond, en particulier l’orifice urinaire, ainsi maintenu à l’abri et au chaud. Troisième singularité : du fait du redressement bipède de notre espèce, le clitoris est devenu un organe antérieur, visible et accessible par devant, s’étant éloigné de l’orifice copulatoire désormais caché entre les cuisses. A moins de pénibles contorsions, l’organe masculin introduit ne peut le stimuler. Le clitoris doit donc être gentiment et précisément flatté à part. Dernière originalité : l’autonomie orgasmique. Alors que le clitoris animal ne procure qu’une gratification « accessoire » de l’accouplement, et même si les guenons se le tripotent allègrement, on ne sache qu’il puisse les mener jusqu’à cette culmination sensitive sans équivalent qu’est l’orgasme. Alors que le clitoris humain permet à lui seul d’atteindre cet orgasme qui fonde notre fonction érotique. Mais pas tout de suite.

Le substratum anatomo-physiologique du réflexe orgasmique est constitué par un vaste réseau de neurones, avec leurs faisceaux connectiques et leurs centres, récepteurs et effecteurs ; depuis les organes génitaux externes jusqu’au cerveau. Comme d’autres agencements neuro-biologiques complexes, le circuit orgasmique n’est livré à la naissance qu’en pointillé. Les neurones et leurs connexions sont en place, mais toutes les jonctions, l’entourage de myéline fonctionnelle des axones ne sont pas entièrement accomplis, les centres agissants n’ont pas encore effectué leur rodage. . Il en va de même, par exemple, pour le mécanisme neuronal de la marche bipède, de la parole. Alors que certaines maturations fonctionnelles s’accomplissent spontanément (par exemple la continence urinaire et fécale), un apprentissage, des stimulations externes sont nécessaires, après la naissance, pour savoir marcher, parler, éprouver l’orgasme.

L’orgasme, les humains en sont très friands. Beaucoup plus que les autres mammifères. Beaucoup plus que ne le voudrait la simple reproduction de l’espèce. C’est en raison du si grand développement de la mémoire humaine, et surtout de la conscience, qui ont poussé les humains à éprouver itérativement la gratification sensitive récompensant l’accouplement… mais aussi la stimulation manuelle ou buccale des zones érogènes primaires. C’est l’appétit orgasmique, fondant la fonction érotique. On a pu chiffrer à 5000 orgasmes le besoin orgasmique, pour une vie de septuagénaire. Homme ou femme. Aucune commune mesure avec le nombre d’enfants (2,3) nécessaire au maintien populationnel. Car l’orgasme procure non seulement un plaisir suréminent, inégalable, irremplaçable, mais aussi un apaisement, un oubli des soucis, une tranquillisation naturelle qui aident à surmonter les péripéties de l’existence. C’est le médicament des gens bien portants, celui qui procure la véritable joie de vivre, d’autant plus efficace et goûteux qu’il est partagé avec cet être choisi et choyé : le partenaire du sexe complémentaire. Celui-celle qu’on pourra aimer d’amour, le vrai, fondé sur le partage du plaisir – du plaisir d’amour. Après avoir, pendant ces longues années nécessaires à l’être humain pour devenir une grande personne, suivi l’évolution biologique que la bonne nature a agencée pour notre bonheur des sens et du cœur.

Les zones érogènes primaires, le clitoris, le gland de la verge, tombent « tout seuls » sous les doigts des bambins des deux sexes. Ils les tripotent plus ou moins machinalement, mais avec plus de précision à la fin de la petite enfance, quand leur « chatouillis » est devenu franchement agréable. C’est ainsi, sous l’effet de ces stimulations externes, que s’établissent les connexions épigénétiques du circuit orgasmique et que ses centres, de la basse moelle au cerveau basal, rodent leur physiologie particulière. Le circuit devient fonctionnel, procurant de véritables orgasmes complets, plus ou moins tôt dans l’existence, au cours de la deuxième enfance, ou au début de la puberté. Pas de problème pour les garçons, qui ne se serviront que de leur verge toute leur vie sexuelle. Alors que les filles pourront un jour se servir de leur vagin, inexploré-inexploité pendant ces nombreuses années d’immaturité qui ne permettent pas la pénétration coïtale. Pour qu’il procure lui aussi des orgasmes, passés les désagréments de la défloration, il faut que ses récepteurs sensibles puissent se connecter sur un circuit neuronal bien établi, maturé. Grâce aux « manipulations » infantiles du clitoris. Après quoi la femme adulte, accomplie, peut normalement jouir du clitoris comme du vagin, le plus souvent du vagin après le clitoris, quand les sollicitations externes auront bien préparé la jouissance interne.

Si vous avez perdu votre clitoris pendant l’enfance, si le courant ne peut passer dans votre circuit orgasmique, votre vagin restera muet. Il ne vous servira qu’à vous accoupler, pour procurer son plaisir à celui qui vous pénètre, et pour évacuer les rejetons que sa semence aura plantés dans votre corps. De la complaisance, et de la souffrance. Inutile d’attendre le « miracle » qui vous fera jouir du vagin. Pas de plaisir, pas d’orgasme. Et finalement pas d’amour, pas de joie de vivre.

Pour vous consoler, vous pouvez chanter. Les joyeux chants folkloriques d’excision, pieusement recueillis par de zélés ethnographes. Ou, plus modernes, ces charmantes chansons maliennes du style « Le dimanche à Bamako, c’est le jour des mariages »... entre un homme doté de toutes ses facultés biologiques (quoique circoncis !), et une femme qui ne connaîtra jamais les délices de l’amour charnel.

Pourquoi donc coupe-t-on le clitoris des petites filles ?

La réponse là aussi est simple : pour les empêcher de jouir. Le déterminisme de cette interdiction repose sur une machine infernale qui fonctionne en deux temps.

Premier temps : le sacrifice métaphysique.

Comme tous les existants terrestres, l’homme doit un jour mourir. Mais il est le seul à le savoir. Pour atténuer la rigueur de la condamnation à mort, il a imaginé qu’il ne disparaissait pas complètement. Et que son « esprit », son « âme » survivrait à la destruction physique du corps. Le sort post-mortem de cette âme n’est cependant pas garanti. Elle peut connaître les félicités éternelles du Paradis, comme les tourments non moins éternels de l’Enfer. Comment faire pour se concilier Celui, Ceux, Dieu, les Dieux, qui régissent le royaume de l’au-delà ? Pour qu’il(s) vous accueille(nt) au lieu de l’éternel bonheur, et qu’en attendant i(ls) vous lais(sent) vivre longtemps et à l’abri du malheur ? En lui (leur) offrant des sacrifices. De toutes sortes.

Encore plus que les offrandes en biens matériels (nourriture, animaux d’élevage, argent, etc.), ou que la renonciation aux délices du pouvoir, les sacrifices les plus appréciés sont les privations de ces plaisirs qui parfument l’existence terrestre. Qui réjouissent la chair, ce corps méprisable destiné à la putréfaction. D’abord les plaisirs de la table. D’où les jeûnes, les carêmes, les ramadans, les boissons et nourritures interdites, tous les jours ou seulement le vendredi, etc. Et puis, évidemment, le plaisir suréminent que procurent les organes sexuels. D’où cette suréminente dévotion qui conduit à la chasteté, pour mourir sans jamais s’être accouplé, sans jamais avoir tenu dans ses bras, dans ses cuisses, un représentant de l’autre sexe. D’où ces restrictions qui n’autorisent le plaisir sexuel qu’au cours de l’accouplement, avec un(e) seul(e) partenaire tout au long de sa vie, partenaire autorisé(e) par les représentants de Dieu, des Dieux sur terre, d’où ces restrictions portant sur les modalités de l’accouplement, selon certaines postures autorisées, et en excluant toute manœuvre s’opposant à l’engendrement : la procréation est la seule excuse du plaisir éprouvé lors de la copulation.

Le caractère à la fois bouleversant et gratuit, « généreusement offert » par la nature, du plaisir sexuel, sans autre effort que d’être en bonne santé, comme les circonstances de sa perception, en cachette, à l’écart des congénères, dans la solitude ou l’intimité à deux, circonstances exigées par la physiologie, le font facilement suspecter d’être une perfidie de la nature. Perfidie conduisant à commettre des actes inconvenants, obscènes, avec ces organes aux odeurs animales qui servent aussi à évacuer les urines et les menstrues. L’accouplement peut ainsi paraître incompatible avec la dignité de la personne humaine, un acte dégradant, exigeant la nudité, commis sous l’emprise de bas instincts ravalant l’homme au rang de la bête. D’où la bonne réputation, la considération distinguée dont sont entourés les contempteurs du plaisir sexuel.

On révère comme tenants de la plus haute valeur morale ceux qui non seulement se privent de tout plaisir charnel mais qui, ne l’éprouvant jamais (disent-ils) se permettent de réglementer celui de leurs fidèles. Ces Dalaï Lamas accusant « le sexe » d’être une invention diabolique perturbant l’existence humaine (c’est pas gentil pour leurs parents !). Ces papes interdisant inlassablement, obstinément, les rapports sexuels extra-conjugaux, le divorce, la contraception, le préservatif et l’interruption de grossesse. Ces prêtres et moines réfractaires au devoir biologique de perpétuer l’espèce, démissionnaires devant les risques et périls de la séduction, devant les efforts nécessaires au bon accord au sein du couple, devant les responsabilités de la paternité, devant les tracas des toujours possibles ruptures. Encore toutes ces prescriptions répressives n’attentent-elles pas à l’intégrité physique de l’être humain. Car on peut s’en prendre directement aux organes responsables du plaisir.

Il y eut des délirants pour porter le couteau directement sur les organes masculins, les plus faciles à agresser. Certains se sont délibérément sectionné la verge (les Skoptzys russes). D’autres se sont retranché les testicules (les prêtres de Cybèle) pour ne plus sentir l’aiguillon de la chair et mettre fin à leurs érections. La circoncision, moins radicale, est un très astucieux compromis entre la nécessité de ressentir le plaisir au cours de l’accouplement fécondant, et la crainte d’offenser Dieu, les Dieux, de le(s) rendre jaloux, en se livrant aux ébats charnels.

Destiné à protéger des excréments le gland de la verge des petits garçons, puis à faciliter les caresses que la partenaire prodigue pendant les préludes de l’accouplement, le repli cutané du prépuce est une formation biologique fort utile. Le sacrifier cause bien des inconvénients, mais ne nuit pas aux érections, à la perception du plaisir, à l’éjaculation fécondante. Quand on le cisaille, ça fait mal et ça saigne, après quoi le gland toujours découvert prouve qu’on a bien été mutilé, qu’il manque un morceau à l’organe mâle livré par la nature. Toutes les caractéristiques du sacrifice. Avec la marque indélébile et indubitable, au regard des congénères et de Dieu, des Dieux. Une habile opération commerciale. Je paye un petit pourcentage de ma chair, sur l’organe du plaisir, mais Tu, Vous me laissez tranquillement me servir du reste. C’est comme au bal, où le tampon sur le dos de la main, prouvant qu’on a payé l’entrée, autorise toutes les danses.

Née en Afrique sur les bords du Niger, du Congo, la circoncision s’implanta comme une tradition tribale implacable. Elle gagna la Nubie puis les rives du Nil. C’est là qu’Abraham la découvrit, comme signe de distinction et d’affiliation ésotérique, puisque longtemps réservée aux prêtres et à Pharaon. La prescrivant à son peuple - sur l’ordre, dit-il, de Iaveh - il se persuada qu’il en ferait le maître du monde. Á une époque où les Hébreux étaient d’humeur fort belliqueuse. Après quoi tous les juifs durent être circoncis, puis tous les fidèles de Mahomet, puisque le Coran reprit intégralement l’Ancien Testament – et du coup la tradition africaine. Heureusement pour les petits occidentaux, Saül de Tarse – l’apôtre Paul – jugea la circoncision une belle hypocrisie, puisqu’après avoir sacrifié un petit bout de peau on s’autorisait toutes les fornications. Ainsi sauva-t-il le prépuce des petits chrétiens. Il faut dire que Grecs et Romains antiques méprisaient souverainement la circoncision. Il fut ainsi plus facile de les convertir.

Le sacrifice du prépuce paraît une telle incongruité aux esprits éclairés que ses partisans s’ingénièrent à lui trouver des justifications rationnelles. Ce ne sont que mauvaises raisons. La plus répandue, et la plus stupide, a trait à l’hygiène. Qu’il s’agisse de la naissance de la mutilation sur les rives de grands fleuves, là où on ne manque pas d’eau pour se laver, ou qu’elle soit défendue par des gens dont la salle d’eau comporte peignes, brosses à dents, dentifrice, savons lotions et shampooings, limes, pinces à peau et à ongles, etc. Comme si se nettoyer le prépuce faisait perdre un quart d’heure sous la douche ou dans le bain ! Il est aussi faux que la circoncision soit préventive de l’éjaculation prématurée, faux que ce soit le bon traitement du phimosis, faux, enfin, qu’elle préserve du cancer et maintenant du sida. C’est le dernier argument à la mode, argument-choc parfaitement erroné. Mais répandu par tous ces messieurs de l’OMS en majorité circoncis et prosélytes, descendant de ces pionniers d’Amérique baptisés mais grands lecteurs de la Bible, et qui laissèrent circoncire leurs petits Samuel et leurs petits Abraham. Comme si l’Afrique, ce continent qui comporte une écrasante majorité de circoncis, n’était pas le plus grand siège de l’épidémie au VIH.

Car lorsqu’on a démonté rationnellement, preuves à l’appui, l’inanité de la circoncision, ses partisans se retranchent derrière l’argument métaphysique, la prescription divine, le pacte avec Dieu. Incirconcision égale impiété, trahison de la tradition. On peut quand même s’étonner de ce que le Dieu omnipotent omniprésent soit si curieux qu’il fouine suspicieusement dans le caleçon de ses fidèles. S’étonner que des milliards et des milliards d’humains mâles de toutes couleurs aient pu conserver leur prépuce sans succomber prématurément à l’infection, au cancer ou à l’éjaculation prématurée !

Deuxième temps : la phallocratie.

Aux origines de notre espèce les hommes et les femmes vivaient en bonne intelligence – sans se faire la guerre. Avec beaucoup de révérence, les artistes figuraient aux murs des cavernes le corps des femmes, avec leur sexe si singulier et si indispensable. Le passage du paléolithique au néolithique, la sédentarisation entraînèrent une altération des rapports entre les sexes. Quittant leur rôle d’égales responsables – avec leurs tâches spécifiques - au sein du groupe, de la famille nucléaire, et moins vigoureuses que les hommes, les femmes devinrent des possessions. Des biens à protéger mais aussi à garder, surveiller, pour qu’elles rendent aux propriétaires les deux services qu’ils attendaient d’elles : l’assouvissement du désir copulatoire, et la confection de rejetons. La longue histoire de la sujétion des femmes fait énumérer tous les mauvais procédés dont usèrent à leur encontre les hommes habituellement seuls détenteurs du pouvoir social, économique et politique. Avec une rigueur variable selon la contrée : les épouses et mères des empereurs romains, les femmes de Germanie décrites par Tacite, Aliénor d’Aquitaine, Emilie du Châtelet furent moins brimées que les habitantes de ce que l’on nomme aujourd’hui le Tiers Monde.

C’est dans le domaine de la sexualité que les brimades furent les plus répandues, et les plus sévères. La nature ayant placé à l’entrée du vagin le repli de l’hymen, qui protège le conduit des petites filles puis se rompt lors du premier rapport, il fut facile de savoir si la femme avait ou non « servi ». Donc si l’acheteur allait bien être le premier à introduire son phallus dans le vagin, pour être ainsi garanti que les rejetons à venir seraient bien issus de sa semence. Malheur à celle qui n’avait plus les « scellés divins » (encore une fois, Dieu met son nez dans des endroits bien incongrus !). Pour multiplier leur descendance et se régaler du corps de femmes jeunes quand les « vieilles » avaient été usées par les maternités, les hommes dominants furent autorisés à posséder plusieurs épouses. Et bien des mesures furent prises pour que les femmes non seulement ne puissent susciter la convoitise d’autres hommes, mais encore, à la limite, n’éprouvent pas de désirs charnels coupables, puisque personnels.

Le mariage convenu est la première atteinte à la liberté de décision de la moitié féminine de l’humanité. De Tokyo à Agadir, ce fut, c’est aux parents, au père de décider à quel époux sera vendue leur fille. Sans lui demander son avis. L’enfermement (gynécée, harem) empêche ensuite les épouses de « courir ». Si elles sortent le voile, la bourka, dissimulent ces attraits corporels qui pourraient tenter les mâles rencontrés dehors. Á la maison même il convient de rappeler, sur le corps même des femmes, sur leurs organes de l’accouplement, qu’elles n’en disposent pas pour elles-mêmes. C’est ainsi que la pilosité génitale, sur le pubis et les grandes lèvres, doit être sacrifiée pour donner à la région l’aspect glabre qui est celui des petites filles impubères. L’épilation assidue, au sucre, à la cire, au rasoir, est un rappel à l’obéissance exigée des enfants. Mais comble du raffinement, les plus perfectionnistes eurent la bonne idée d’agir sur cela même qui procure du plaisir sexuel aux femmes.

Le clitoris de nos arrière grands-mères paléolithiques leur donnait, petites filles, les mêmes agréments qu’aux nôtres, et devenues grandes leurs compagnons le flattait comme nous le faisons, ils l’ont même ici et là représenté. En l’amputant de bonne heure, certains physiologistes du néolithique savaient qu’ils coupaient à sa racine le développement de la fonction érotique féminine. Qu’ont besoin de jouir les femmes qu’on a achetées ? Pour qu’elles aient l’idée d’aller voir ailleurs si c’est plus plaisant qu’à la maison ? Il suffit bien qu’elles aient un vagin, pour que le mâle y trouve son plaisir. Et couper le clitoris n’empêche pas l’engrossement. Cerise sur le gâteau, l’infibulation, la fermeture de la fente vulvaire, offre une garantie à l’acheteur. Il faut inciser au couteau la cicatrice au soir des noces, étant ainsi bien sûr qu’on est le premier. Évidemment, pour exécuter une bonne suture, il aura fallu sacrifier les petites lèvres, que certains – dont je suis - considèrent comme de délicates merveilles de la nature. Mais est-ce que le mari a besoin des petites lèvres ?

Il est toujours quelque peu répugnant, salissant, de trifouiller dans le sexe des femmes, surtout quand on est un homme. C’est pourquoi les femmes les plus sages, les plus dévouées et les plus habiles, ont été chargées d’exécuter les salutaires opérations, trancher le clitoris, amputer les nymphes, coudre les grandes lèvres. Elles-mêmes excisées elles « y font passer » les jeunes pour leur « dresser le poil ». Mentalité classique d’anciens combattants. Et quasi-corporation, se repassant de mère en fille pinces, couteaux et ciseaux.

            Comme pour la circoncision, on s’est ingénié à trouver de bonnes raisons à l’ablation du clitoris. Sur place on est persuadé que celles qui ont conservé leur clitoris deviennent des débauchées, des putains offertes à tous et trompant leur mari à la première occasion: ainsi sont ces dévergondées d’Occidentales. On s’est persuadé aussi, bien que n’ayant jamais vu le clitoris d’une femme adulte, que l’organe gonfle monstrueusement pendant la grossesse et qu’il s’oppose à l’accouchement. Et enfin, comble du sophisme, les raisonneurs recourent à l’argument de la « bisexualité native ».

Suivant ce raisonnement aberrant, on imagine que les humains naissent porteurs de résidus organiques du sexe d’en face. L’anneau préputial est l’homologue de l’entrée vaginale. Le clitoris est une ridicule petite verge en réduction. Il faut débarrasser nos enfants de ces saletés pour qu’ils deviennent de vrais hommes, de vraies femmes. L’excision étant née puis s’étant propagée dans les même zones géographiques que la circoncision, il apparut vraiment opportun de fournir des motivations jumelles aux « opérations », les unes pour les garçons, les autres pour les filles. Pour qu’ils et elles parviennent au mariage parfaitement « rectifiés ». Spécieuse mais fatale symétrie : voilà pourquoi on ne pourra totalement éradiquer l’excision que lorsqu’on aura aboli la circoncision.

Il est presque risible de constater l’inanité des raisons invoquées pour amputer le clitoris des femmes. L’accusation de dévergondage toucherait ainsi plutôt ces femmes excisées qui, au lieu de se sentir concernées, fortement impliquées, fidélisées, comme les femmes normales, par l’échange du plaisir et des sentiments au sein de la relation érotique, peuvent prêter leur vagin si on le leur demande « gentiment », sans faire trop de chichis, sans trop d’« état d’âme »: ça ne leur fait ni chaud ni froid ! L’accusation de gêne à l’accouchement n’est pas seulement ridicule – comment accouchent donc ces milliards et ces milliards de femmes qui n’ont pas été excisées ? – mais elle émet une odieuse contre-vérité. Le périnée des excisées, surtout si on a sacrifié les petites lèvres, et encore plus si on a commis une infibulation, devient le siège de cicatrices rétractiles, voire d’un bloc de sclérose. Ainsi se forme un obstacle résistant à la sortie de la tête fœtale, qui peut rester longtemps coincée derrière la vessie… éventuellement jusqu’à ce qu’elle la crève. D’où la fréquence de ces fistules vésico-vaginales, qui occupent une bonne part de l’activité chirurgicale en territoire d’excision. Il est enfin une spoliation dont n’ont aucune idée ceux qui n’auront jamais connu que des femmes excisées : la privation de leur pouvoir érotique.

Le pouvoir érotique, c’est la capacité de procurer la jouissance orgasmique à son-sa partenaire. Satisfaction sans pareille, surtout si c’est bien le-la partenaire d’amour que l’on comble de bonheur charnel. Les femmes exercent ce pouvoir sans trop de difficultés, puisqu’elles peuvent aisément faire parvenir à l’orgasme, accompagné de la flagrante éjaculation, tout homme doté de bonnes érections. De même toute femme dotée d’un clitoris et d’un vagin normalement réagissants offre à son partenaire cette manifestation orgasmique qui s’avère la plus grande fierté de la virilité. Voilà pourquoi sont frustrés ceux qui tiennent dans leurs bras une désespérante frigide. Voilà pourquoi sont surpris puis frustrés ceux qui, ayant connu des femmes entières, font l’amour avec une femme excisée, à qui il manque « quelque chose » dans le sexe, et qui ne pourra réagir à leurs caresses, à leurs étreintes – ce dont se fout, évidemment, le macho pour qui le plaisir des femmes n’a aucune importance... Voilà pourquoi celles à qui mon ami Pierre Foldès a restauré « quelque chose » de saillant et sensible en haut de la fente vulvaire ne lui diront jamais assez merci.

Comment préserver à l’avenir l’intégrité physique des petites filles ?

Attentat intolérable contre le corps des femmes, d’enfant sans défense, suppression inadmissible de leur fonction érotique, l’excision doit être combattue en tout temps et en tout lieu. Sur place et chez nous.

L’humanisme occidental, son éthique laïque et même religieuse ne sauraient admettre que l’on pratique la moindre mutilation délibérée sur les organes génitaux des petits enfants… et même sur d’autres parties de leur corps. Il s’est trouvé, il se trouve, hélas, des esprits faibles, ou faux, pour trouver à l’excision des excuses, voire des prétextes valables ; quand d’autres n’en veulent rien savoir.

Première coupable la répression morale de la sexualité. Fleuron de la morale chrétienne elle a d’origine manifesté un tel dédain, pour ne pas dire dégoût des organes prodiguant le plaisir charnel, qu’elle ne s’est guère indignée devant le retaillage des parties sexuelles des « indigènes ».Qu’il s’agisse des filles comme des garçons (d’ailleurs le petit Jésus avait été circoncis !). Il faut reconnaître que les missionnaires s’évertuèrent à préserver du couteau les gamines qu’on leur avait confiées. Mais ils quittèrent l’Afrique sans que la hiérarchie, les évêques catholiques, de Dakar, à Brazzaville, soient jamais sortis de leur attitude démissionnaire, sinon compréhensive – il faut dire qu’ils n’ont jamais eu (disent-ils) de femme dans leur lit. Ils n’ont jamais suscité de condamnation officielle du Vatican. On peut déplorer la même attitude timorée des hauts responsables du clergé réformé en Afrique anglophone. Mais même pour bien des « séculiers ordinaires » la défense d’un organe aussi « inconvenant » que le clitoris a toujours apparu bien scabreuse. Ah ! s’il s’agissait d’enlever un œil, ou de couper un orteil « à d’innocentes fillettes » l’opinion publique aurait été plus facile à émouvoir…

Deuxièmes coupables : les fantasmes anthropologiques. Avant le tourisme de masse permettant aux occidentaux d’aller visiter tous les points du globe, il ne fut que trop facile de leur raconter n’importe quoi sur les habitants des pays exotiques, des « pays chauds ». dans ces contrées où « les sauvages » vivent « tout nus », et où la sexualité est « débridée ». Ce qui ne pouvait aller qu’avec des dimensions fabuleuses des organes génitaux. Arabes, nègres et autres Papous ne pouvaient être que dotés de phallus imposants, faisant honte aux « visages pâles ». Des fables identiques dotaient « les négresses » de clitoris surdimensionnés, ce qui expliquait leur lubricité. Les racontars sur ces énormes clitoris exotiques traînèrent dans la littérature occidentale, d’Ambroise Paré à Voltaire, et jusque dans certains traités d’anatomie du XIXe siècle, et jusque dans une Encyclopédie de la sexualité humaine parue en France en 2004. Le corollaire en est évidemment qu’il est nécessaire soit d’extirper l’organe soit de réduire son volume, par de salutaires rectifications évitant aux femmes de succomber à la luxure. Beau témoignage de sagesse chez les « primitifs », s’extasiaient les niais ! Et bel exemple de « bourrage de crâne », puisque l’anthropométrie démontre que les clitoris de toutes les couleurs ont les mêmes dimensions – mon Atlas anatomique en apporte l’indubitable témoignage photographique. Et qui peut témoigner sur le clitoris des Abyssines adultes ? Alors que les petites éthiopiennes, musulmanes, chrétiennes et juives (les falachas) sont toutes excisées dans la prime enfance.

Troisième coupable : le freudisme. Parmi les méfaits de la psychanalyse freudienne, son adhésion au mythe de la bisexualité native. Cette ânerie qui traîne dans les plus surannées élucubrations philosophiques, et sert d’argument aux coupeurs de petits enfants, a été reprise et confirmée par Freud. Tous les humains auraient leur part de virilité, et leur part de féminité – comme dit le si « respectable » Tao. Bisexualité qui se traduit jusque sur leur constitution corporelle. Il y aurait ainsi, comme le disent les mutilateurs africains, des organes masculins sur le corps des femmes, et vice-versa. Et Freud de traiter hardiment le clitoris d’organe masculin, mais avorté, inabouti : c’est « le prototype de l’organe inférieur », citation textuelle de la conclusion de son article sur le fétichisme paru en 1927. Organe donc méprisable, tout juste bon à orienter dans le mauvais sens la sexualité des petites filles, organe à l’usage duquel doit donc renoncer la femme adulte, pour effectuer le « transfert érogène » du clitoris au vagin. Faribole dangereuse qui empêche toute compréhension scientifique de la sexualité féminine. Mais faribole reprise, ô paradoxe, par des femmes zélées disciples de Freud, en particulier Hélène Deutsch et Marie Bonaparte. Pour ces dames le clitoris était une véritable bête noire. S’étant penchée sur l’excision, Marie Bonaparte en conclut que le dommage était vraiment minime, et que l’« opération » avait l’avantage d’empêcher les femmes de succomber au « clitoridisme ». Une maladie imaginaire dont seraient atteintes les vilaines « clitoridiennes ». Celles qui sont d’enragées masturbatrices et/ou des lesbiennes plus ou moins bien refoulées, alors que la femme adulte normale se doit d’être une pure « vaginale », renonçant aux prétentions viriloïdes, revendicatives, du clitoris. A ceci près que celle qui a perdu son clitoris pendant l’enfance ne deviendra jamais une « bonne » vaginale.

Ce déni de la biologie la plus élémentaire, cette phobie de la physiologie clitoridienne paralysa longtemps, jusqu’à la naissance de la sexologie scientifique, le traitement des femmes en difficultés érotiques. Le destin humain ne se vit qu’en tant qu’homme, ou femme, doté(e) par notre phylogenèse de « tout ce qu’il faut » pour se reproduit et exercer sa fonction érotique. Toutes les femelles mammifères, je l’ai dit, possèdent un clitoris et ne semblent nullement souffrir de leur « bisexualité ». Faudrait-il donc, pour faire plaisir à Marie Bonaparte, couper le clitoris des vaches laitières, des chattes d’appartement, pour en faire de plus parfaites femelles ? Toujours est-il que les lubies du freudisme, tenu hélas pour une des fines fleurs de la pensée occidentale, fournirent une bonne excuse à l’immobilisme de tous ceux qui ne voyaient pas pourquoi on condamnerait des rites si judicieux. Le cher Bruno Bettelheim (celui qui s’était parfaitement foutu le doigt dans l’oeil à propos de l’étiologie et du traitement de l’autisme) n’avait-il pas élucidé le mécanisme si sécurisant des « blessures symboliques »?

Quatrième coupable : le tiers-mondisme. Dernier-né des systèmes de pensée justifiant les mutilations des petites filles, il postule le respect des us et coutumes extra-européens. En récusant l’odieux « ethnocentrisme » des occidentaux ces bonnes âmes avalisent les pires extravagances, les pires impasses dans lesquelles elles ne s’aventureraient pas elles-mêmes. Y compris tout ce qui écrase la condition féminine. De la répudiation à la polygamie, du voile à l’incapacité juridique. Voudrait-on intervenir pour supprimer ces mœurs contraires aux critères occidentaux qu’on se livrerait à une fort répréhensible déculturation, à une angoissante désocialisation-détribalisation. Pourquoi condamner l’infibulation puisque celles qui n’ont pas été cousues ne peuvent pas se marier à Khartoum? Pourquoi condamner l’excision, puisque la coutume est un facteur essentiel d’appartenance culturelle, familiale et ethnique ? Et l’on trouve inlassablement dans les prétoires ces avocats « compréhensifs » qui ne feraient sûrement pas exciser leurs filles, mais plaident l’acquittement, en français et en bambara, des « bonnes mères » qui ont fait appel aux bons offices de l’exciseuse, pour que Zana ait été « opérée », pour qu’elle devienne aussi respectable que les autres femmes de la famille.

Il est heureux qu’à la fin du XXème siècle tous ces sophismes n’aient pas empêché les institutions internationales, ONU, UNESCO, UNICEF, même si bien difficilement, de condamner les mutilations sexuelles féminines. Comme les condamnent les institutions judiciaires des pays occidentaux, et de certains pays africains, surtout depuis la Convention Internationale des Droits de l’enfant du 20 novembre 1989. En France ces mutilations sont donc des crimes, dénoncés par le Nouveau Code pénal de 1993, article 222. Ils font poursuivre et les parents, et l’exciseuse. Les filles excisées ont même été admises à citer leurs parents en justice. Après un assez long temps de condamnations avec sursis, de véritables emprisonnements ont été appliqués. Mais malgré ces sanctions, malgré les mises en garde communiquées aux immigrants africains, les excisions clandestines continuent de se pratiquer en Europe, ce qui légitime la poursuite de l’information, et de la répression officielle.

Se sont aussi créées des associations privées pour répandre l’information, et pour venir à l’aide des mutilés des deux sexes. NOCIRC aux USA. En France L’Association contre la Mutilation des Enfants, AME.

Sur place la lutte, née elle aussi à la fin du XXème siècle, a été longue, et difficile à mettre en route. Succédant aux missionnaires des humanistes des deux sexes, médecins, infirmier(e)s, sages-femmes, travailleurs sociaux, enseignants se sont employés à dissuader la poursuite de l’excision. Bien qu’ils aient semé la bonne graine, leur pouvoir de persuasion fut longtemps très faible. Pour la bonne raison que la plupart d’entre eux venaient d’Europe, et qu’il était facile de les accuser de « faire gagner la mauvaise tête » aux femmes, avec leurs « manières de Blancs ». Voilà pourquoi il faut saluer l’extraordinaire courage des premières africaines à prendre la défense des petites filles.

Ces bienfaitrices de l’humanité ont fondé des associations de femmes africaines. Elles se sont adressées aux matrones exciseuses, les engageant à cesser leur activité coupable et même à se faire les prosélytes de la préservation corporelle des fillettes. Elles ont organisé des séances d’information, où l’on reprend en chœur des chansons disant que « l’excision c’est pas bon ». Il faut bien dire que c’est un travail de fourmi, et que si l’on ne saurait désespérer du résultat, le but ne sera probablement atteint que dans deux ou trois générations. Encore peut-on ici faire confiance au courage des femmes africaines, à la détermination de leurs filles et petites filles vivant en Europe et défendant comme des tigresses le corps de leurs fillettes. On ne peut en dire autant, hélas, des femmes vivant en terre islamisée. De Sanaa à Djakarta, aucun mouvement local d’opinion n’incrimine la si respectable coutume de l’excision. Surtout en ce XXIe siècle naissant, où le monde musulman vit un fâcheux regain de bigoterie – de sujétion, de muselage des femmes.

On pourrait espérer que les actions actuellement entreprises pour endiguer l’épidémie de sida, insistant en particulier sur l’amélioration de la condition féminine, seraient une bonne occasion pour insister sur la suppression de l’excision. Malheureusement le discours risque d’utiliser un abscons double langage. Comment demander qu’on coupe les garçons, pour une fallacieuse prévention, quand on recommande de ne plus couper les filles ? Le combat doit donc aussi se mener contre la circoncision, et il n’est encore gagné !

Pour soutenir ceux et celles qui se battent contre l’excision, on ne fera jamais assez de campagnes d’information, d’émissions radiophoniques, télévisées, on n’écrira jamais assez de livres. Et ici je trouve le livre de Louisiane Doré miraculeux. Voici des années que je morigène, je l’avoue, les Antillaises, à propos de ce qui me paraissait de leur part une inertie coupable, devant les mutilations des petites africaines. Voilà des femmes noires, dont tout le monde reconnaît la beauté et la féminité, des femmes qui ne sont pas mutilées – et de plus en territoire français laïque où la circoncision n’est pas de rigueur ! - et qui démontrent que l’intégrité de leurs organes génitaux n’en fait pas des dévergondées, ne les empêche pas d’être de bonnes épouses et de bonnes mères, comme d’accoucher normalement. Quel bel exemple ! Et quel beau prétexte pour faire la morale à leurs sœurs d’Afrique ! Prétexte que je trouvais déplorablement inutilisé. Or voici enfin une Martiniquaise qui monte au créneau, pour reprendre le flambeau de la lutte contre l’excision. Avec une documentation poignante, bouleversante, mais démonstrative. Á mettre sous les yeux des avocats tiers-mondistes et des partisans de la bisexualité native ! Pour leur faire honte de leur « compréhension ». On n’excuse pas l’excision. On la combat. Merci, Louisiane, et bravo.

                                                    Docteur Gérard ZWANG

Président d’honneur de l’Association contre la Mutilation des Enfants

Nouveauté : Brochure contre l'excision du Ministère pour la Promotion de la Femme

 


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