Association contre la Mutilation des Enfants



Communiqué de Presse du 9 juin 2009
 

La Halde, le chirurgien et les circoncisions rituelles

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Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité

Délibération relative à des faits
de harcèlement moral discriminatoire
subis par un chirurgien
en raison de ses opinions religieuses
n°2009-125 du 02/03/2009


Emploi public – harcèlement moral discriminatoire – opinions religieuses

La haute autorité a été saisie par un chirurgien urologue d’une réclamation relative aux faits de harcèlement moral discriminatoire qu’il aurait subis au sein du centre hospitalier où il exerce. Le Collège de la haute autorité considère que les accusations abusives de prosélytisme et de circoncisions rituelles proférées à son encontre par une partie des agents hospitaliers, ont eu pour effet de porter atteinte à sa dignité et de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant à son égard. Il constate que ces faits, fondés sur les opinions religieuses du réclamant, constituent un harcèlement moral discriminatoire, notamment au sens de l’article 1er de la loi du 27 mai 2008. En conséquence, il invite son Président à recommander au directeur de l’hôpital de rappeler à l’ensemble de son personnel, et en particulier au personnel du service d’anesthésiologie et du bloc opératoire, la portée du principe de non discrimination, et à joindre cette délibération au dossier administratif du réclamant et à recommander au directeur de l’hôpital de rechercher une juste réparation.



Le Collège,
Vu la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires;
Vu la loi n°2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité;
Vu la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ; Vu le décret n°2005-215 du 4 mars 2005 relatif à la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité;
Sur proposition du Président,
Décide:
La haute autorité a été saisie, le 21 mai 2007, d’une réclamation de Monsieur X relative aux faits de harcèlement moral qu’il aurait subis au Centre hospitalier de T où il exerce la profession de chirurgien urologue. Il estime que ces faits seraient constitutifs d’une discrimination fondée sur ses opinions religieuses.
M. X, d’origine syrienne, a acquis la nationalité française en 1994.
Autorisé à exercer la médecine en France en 1995, il a été inscrit au tableau de l’Ordre des médecins en 1996.
Nommé praticien hospitalier à titre provisoire au Centre hospitalier de T en septembre 2002, puis en qualité de chirurgien des hôpitaux pour une période probatoire, il a été titularisé le 15 juillet 2005 au service de chirurgie urologique.
Le réclamant estime avoir subi des faits de harcèlement moral caractérisés par le «climat de soupçon autour de (sa) personne, de (ses) convictions religieuses, (...) les rumeurs injustement répandues» par les infirmiers du bloc opératoire. Selon l’article 6 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, «aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions (...) religieuses (...)».
Selon les dispositions de l’article 6 quinquies du même texte, «aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel».
Par ailleurs, en vertu de l’article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, «constitue une discrimination la situation dans laquelle, sur le fondement de (...) sa religion (...) une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable. (...) La discrimination inclut tout agissement lié à l’un des motifs mentionnés au premier alinéa (...), subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant».
En l’espèce, il ressort de l’enquête diligentée par la haute autorité qu’en 2006, le directeur de l’hôpital de T a eu connaissance d’accusations dénonçant le prosélytisme de M. X ainsi que sa pratique de circoncisions rituelles, et a sollicité le directeur de l’agence régionale de l’hospitalisation afin d’obtenir des «informations juridiques concernant les pratiques opératoires liées à la circoncision».
Une mission d’inspection de l’activité urologique du Centre hospitalier de T a alors été décidée par le directeur de l’Agence régionale de l’hospitalisation en août 2006.
Cette inspection, confiée à un médecin inspecteur de santé publique, a donné lieu à un rapport de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) remis en avril 2007.
Ce rapport met en évidence qu’aucun acte de prosélytisme imputable à M. X n’a été clairement établi ni sanctionné.
Selon la jurisprudence administrative, si l’expression d’opinions par les agents publics dans le cadre des fonctions qu’ils exercent est prohibée, la prise en compte de ces convictions manifestées exclusivement en dehors du service, et quelle que soit leur nature, constitue une discrimination (CE, 28 avril 1938, Demoiselle Weiss; CE, 8 décembre 1948, Demoiselle Pasteau, et 3 mai 1950, Demoiselle Jamet).
S’agissant des circoncisions rituelles, il convient de noter que cette pratique, qui porte atteinte à l’intégrité de la personne humaine, n’est ni interdite, ni expressément autorisée par la loi. Elle est pratiquée par la plupart des établissements de santé dans un souci de protection de la santé des patients à la condition que les parents aient exprimé leur consentement au préalable.
En l’espèce, les conclusions apportées sur ce point par le rapport de la DDASS soulignent que «le personnel du bloc a, à plusieurs reprises, suspecté le caractère rituel de la circoncision (...). Toutefois, aucun membre du personnel, y compris les anesthésistes, ne semblent s’être rapproché de l’opérateur afin d’obtenir le diagnostic qui justifiait l’acte prescrit, alors même que leur responsabilité était engagée». Elles révèlent également que le nombre de circoncisions rituelles, en valeurs absolues, est «minime voire insignifiant au regard des autres départements français».
Au vu de ces éléments, le Collège de la haute autorité considère que les accusations abusives de prosélytisme et de circoncisions rituelles proférées à l’encontre de M. X par une partie des agents hospitaliers, ont eu pour effet de porter atteinte à sa dignité et de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant à son égard. Il constate que ces faits, fondés sur les opinions religieuses du réclamant, constituent un harcèlement moral discriminatoire, notamment au sens de l’article 1er de la loi du 27 mai 2008. S’agissant de l’attitude du directeur de l’hôpital à l’égard de ces agissements, le Collège estime qu’en saisissant le directeur régional de l’hospitalisation puis le comité d’éthique de l’établissement, il a pris une mesure appropriée pour mettre un terme à la situation de harcèlement moral précédemment décrite.
De la même manière, le Collège relève que le directeur de l’hôpital a répondu au refus de la majorité des infirmiers anesthésistes diplômés d’Etat de participer aux anesthésies pour circoncision rituelle exprimé par le courrier du 9 juillet 2007, en rappelant qu’il n’existait pas «de clause de conscience qui permettrait à un hospitalier ou à un infirmier de ne pas réaliser cet acte» ; par ailleurs, «d’autres actes chirurgicaux en matière de circoncision ne sont pas considérés par les textes comme étant illégaux malgré le principe de laïcité de l’hôpital public. (...) L’un des principes du droit prévaut: ‘tout ce qui n’est pas interdit est autorisé’».
Il constate également qu’une réunion a été organisée le 3 août 2007 en présence de MM. X et S, du directeur de l’hôpital et de la directrice adjointe, dont le relevé de décisions précise que «l’ensemble des 4 personnes conclut au fait que la loi n’interdisant pas l’activité chirurgicale de circoncision, pour des raisons rituelles (...) il convient à l’établissement de donner aux praticiens qui souhaitent effectuer certains de ces actes les moyens de les effectuer. Toutefois, comme cette pratique interroge de nombreux professionnels dans l’établissement», il a notamment été convenu de solliciter le comité d’éthique de l’établissement.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, le Collège de la haute autorité considère que les accusations abusives de prosélytisme et de circoncisions rituelles proférées à l’encontre de M. X par une partie des agents hospitaliers, ont eu pour effet de porter atteinte à sa dignité et de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant à son égard. Il constate que ces faits, fondés sur les opinions religieuses du réclamant, constituent un harcèlement moral discriminatoire, notamment au sens de l’article 1er de la loi du 27 mai 2008. S’agissant de l’indemnisation sollicitée par le réclamant, la haute autorité ne peut évaluer le préjudice subi et fixer le montant d’une réparation.
Par ailleurs, les responsabilités individuelles n’ont pu être clairement établies par le rapport de la DDASS ni par l’enquête de la haute autorité, ce qui ne permet pas d’envisager des sanctions disciplinaires ou pénales.
En conséquence, le Collège invite son Président à recommander au directeur de l’hôpital de T d’accorder à M. X une juste réparation, de rappeler solennellement à l’ensemble de son personnel, et en particulier au personnel du service d’anesthésiologie et du bloc opératoire, la portée du principe de non discrimination, et de joindre cette délibération au dossier de M. X.
Il sera rendu compte de l’exécution de cette recommandation dans un délai de 3 mois à compter de sa notification.


                    Le Président



                    Louis SCHWEITZER

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