Article 222
Journal pour les Droits de l’Enfant
N°39
3e trimestre 2009
http://www.enfant.org
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La posthéphagie rituelle et l’infection à l’hépatite virale B
CHU d’Antananarivo, Madagascar
La
circoncision est l’ablation du prépuce en partie ou en totalité pour
une raison thérapeutique ou rituelle. Elle est suivie à Madagascar par
un avalement cru du prépuce. Toutefois, la posthéphagie ne semblerait
pas être dénuée d’un risque de transmission de maladie virale. Nous
rapportons un cas d’infection d’hépatite virale B suite à une
posthéphagie rituelle. Un enfant de 5 ans avait été l’objet d’une
circoncision rituelle durant le mois de mai 2006. Il n’avait pas
d’antécédents particuliers. La vaccination au BCG, rougeole et
poliomyélite était à jour. La circoncision avait été réalisée sous
anesthésie locale sans aucun bilan biologique préalable et selon la
méthode conventionnelle. Le prépuce était avalé par un oncle paternel.
L’enfant avait présenté une fatigabilité, une anorexie et
gastroentérite le lendemain de l’intervention suivie d’un ictère
cutanéomuqueuse quatre jours après. Les examens biologiques concluaient
à une hépatite virale B. Devant ce tableau, un bilan sérologique avait
aussi été réalisé chez son oncle mais était révélé négatif. Une
surveillance clinique et sérologique régulière avait été entreprise. 4
mois plus tard, l’oncle de l’enfant avait développé également une
hépatite virale B. L’avalement du prépuce est gravé dans la tradition
de la circoncision à Madagascar. Son origine et sa raison restent
encore actuellement mal connues. Ce sont souvent les grands-parents ou
les oncles du côté paternel qui assurent cette tâche. Cette pratique de
mini cannibalisme s’apparente au pacte de sang pour attester l’amour,
l’amitié ou pour concrétiser une alliance entre deux personnes.
Cependant, cette pratique de pacte de sang n’est pas dénuée de risque
de transmission de maladie virale notamment une infection par le virus
de l’hépatite B. La transmission de cette maladie virale se fait
essentiellement lors d’un contact avec du liquide biologique, en
l’occurrence, au cours des transfusions sanguines, lors des injections
intraveineuses et des relations sexuelles mais aussi par voie
verticale. Dans notre observation, l’hypothèse de la transmission de
l’hépatite virale B à l’oncle pourrait être liée à la consommation crue
du prépuce de l’enfant circoncis porteur du virus de l’hépatite B. Bien
qu’aucune étude ne soit portée sur une éventuelle maladie transmise par
la consommation de la chair humaine, l’avalement du prépuce ne
semblerait pas dénuer de ce risque comme suspecté à partir de cette
observation. Pourtant, aucun bilan sanguin particulier n’est demandé
chez la quasi-totalité des enfants circoncis car cette pratique se fait
habituellement dans le cadre d’une petite chirurgie et en ambulatoire
dans notre pays. La posthéphagie est un acte qui alimente la
circoncision chez les Malgaches. Elle est de pratique courante et se
perpétue même dans l’évolution actuelle de la connaissance de certaines
maladies virales telles que l’hépatite virale et le VIH.
Progrès en Urologie, volume 18, avril 2008.
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Nous sommes tous des mangeurs d’enfants En se penchant sur la mort de Saint Simon de Trente, Ariel Toaff, fils de l’ancien grand rabbin de Rome, en souligne la vraisemblance. C’est un tollé. Et une occasion, pour Umberto Eco, d’examiner une phobie universellement partagée.
La
Chronique de Nuremberg (qui raconte les principaux événements de
l’histoire du monde, de la création à 1493) contient une gravure dédiée
au martyre de Simon, l’enfant assassiné pour des raisons rituelles par
des Juifs, à Trente, et devenu l’objet d’un culte
populaire jusqu’à ce que Paul VI décide en 1965 qu’il s’agissait d’une
pure légende. Vient de paraître un livre (écrit par un Israélien)
démontrant que cette affaire n’est pas dénuée de fondement;
naturellement, un vaste débat s’en est ensuivi.Je
déclare d’emblée que je n’ai pas la compétence pour vérifier la
fiabilité des sources utilisées par l’auteur, et que la question ne me
tourmente pas particulièrement: au long des siècles, des personnages
relevant davantage de l’histoire de la psychiatrie que de l’histoire
des religions se sont voués à des cultes plus ou moins sataniques. Il
n’est donc pas invraisemblable qu’il ait existé des fous criminels
juifs, tout comme il existe des fous criminels italiens, français ou
maliens. Ce qui m’intéresse, en revanche, ce sont quelques souvenirs de
lecture. Dans L’Art poétique, Horace parle des lamies qui dévoraient
les enfants et en restituaient les corps, apparemment intacts mais
vidés de l’intérieur. Ovide raconte, dans Les Fastes, que des
femmes-oiseaux suçaient le sang des enfants. L’édit de Liutprand, en
727, considérait les sorcières comme des démons qui enlevaient les
enfants pour leur sucer le sang. Quant aux Juifs, voici une des
nouvelles de Chaucer, au XIVème siècle : un angelot qui traversait le
quartier juif en chantant joyeusement O Alma Redemptoris Mater provoqua
la rage des méchants Juifs : «Ô peuple d’Israël, ceci te fait-il
honneur qu’un enfant puisse passer à son aise, parmi vous, en chantant
ainsi, au mépris de vous et à l’encontre de vos lois ?» Ils soudoient
alors un assassin, qui lui tranche la gorge un jour que l’enfant
passait par là et le jette au fond d’un puits. «Ô race maudite !»
commente Chaucer. Et il révèle ensuite que «cette précieuse émeraude,
ce rubis flamboyant du martyre gisait là, sur le dos, et, la gorge
tranchée, se mit à chanter, comme avant, O Alma Redemptoris Mater, si
fort que tout le quartier en résonnait». Voilà l’origine, cent ans
auparavant, de l’histoire de Simon de Trente.Mais
les Juifs étaient-ils les seuls à tuer les enfants ? Non, il y eut
aussi les chrétiens hérétiques. Un des documents les plus célèbres en
la matière est celui de Michel Psellos, De l’action des démons, où il
décrit des hérétiques, apparemment de son temps, le XIème siècle, mais
leur attribue des délits que la tradition patristique avait imputés aux hérésiarques des premiers siècles. «Le
soir, lorsque s’allument les lumières et que nous célébrons la Passion,
ils mènent dans quelque maison les jeunes filles qu’ils ont initiées à
leurs rites secrets, éteignent les lampes et déversent leur débauche
sur la première venue, fût-elle leur sœur ou leur fille. Ils sont en
effet convaincus d’ainsi gratifier les démons en violant les lois qui
interdisent le mariage entre personnes de même sang. Le rite terminé,
ils rentrent chez eux et attendent neuf mois: au moment où doivent
naître les impies progénitures d’une semence impie, ils se réunissent à
nouveau au même endroit. Trois jours après l’accouchement, ils
arrachent les misérables enfants à leurs mères, entaillent avec une
lame effilée leurs tendres membres, recueillent dans des coupes le sang
jaillissant, brûlent les nouveau-nés alors qu’ils respirent encore et
les jettent sur le bûcher. Puis ils mélangent dans les coupes le sang
et les cendres, obtenant ainsi une horrible mixture, avec laquelle ils
souillent les aliments et les boissons, en cachette, à la manière de
ceux qui versent du venin dans l’hydromel. Telle est leur communion.»Les
actes des procès en sorcellerie sont riches en sacrifices d’innocents,
non pas tant d’ailleurs au Moyen Âge qu’à l’époque moderne, et ce au
moins jusqu’au XVIIIème siècle. Bref, l’accusation de manger des
enfants, faite aux hérétiques, aux Juifs et aux ennemis en général, est
un lieu commun de l’histoire de l’intolérance raciale et religieuse, et
plus personne n’y prête attention depuis longtemps. Le dernier exemple
en date est la rumeur selon laquelle les communistes auraient dévoré
des enfants. Aujourd’hui encore, on trouve sur Internet des sites
«théo-con» (au sens français du second mot) soutenant que les
communistes chinois mangent des enfants, partant du principe que la
population croit aux vertus thérapeutiques du placenta (et de la chair
des fœtus). C’est possible. Mais il y a encore des communistes en Chine? © Umberto ECO Article original en italien, journal L’Espresso - 22/02/07 Traduction française, revue Booksmag - 01/12/08
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REVUE DE PRESSE
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Un Dunkerquois de 59 ans pratiquait des circoncisions sans diplôme médical
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procédures judiciaires distinctes ont été ouvertes en France et en
Belgique contre un Dunkerquois de 59 ans qui aurait pratiqué des
circoncisions sur de jeunes enfants sans aucune qualification médicale. En
juin 2008, à Courtrai, un bébé de 3 mois a bien failli succomber à une
circoncision pratiquée en dehors de tout cadre médical, comme cela se
fait parfois. Le garçonnet a été opéré à même la table de la salle à
manger, au domicile familial. Victime d'une hémorragie, le bébé a été
sauvé par l'hôpital de Courtrai, qui a effectué un signalement au
parquet. Un juge d'instruction, saisi pour exercice illégal de la
médecine et violences volontaires sur mineur de moins de 15 ans, a
lancé une commission rogatoire internationale afin d'entendre un
Dunkerquois de 59 ans, soupçonné de s'être livré à cette opération
clandestine sans aucun titre médical. Les policiers belges ont pu
l'auditionner chez lui, lundi. Les investigations se poursuivent
outre-Quiévrain, notamment pour vérifier si d'autres cas existent. L'homme
fait en tout cas l'objet d'une autre enquête ouverte à Dunkerque. Un
enfant domicilié à Saint-Pol-sur-Mer avait dû être hospitalisé à Lille,
début mai, pour des complications là aussi consécutives à une
circoncision mal pratiquée. Le 18 mai dernier,
l'homme a été placé en garde à vue au commissariat de Dunkerque, où il
a reconnu avoir pratiqué cette circoncision. «Il a avoué sans
difficulté en avoir pratiqué à de multiples reprises, pour rendre
service et, semble-t-il, sans être rémunéré», confie le procureur de la
République de Dunkerque, Philippe Müller. En l'absence de plainte des
parents, et dans une affaire qu'il juge «délicate en raison de ses
implications culturelles», le procureur s'orienterait plutôt vers un
classement sans suite. Cette pratique traditionnelle est en tout cas
condamnée par le recteur de la mosquée de Lille-sud, Amar Lasfar, qui
assure que la plupart des musulmans choisissent désormais de passer par
une clinique. «L'intervention chirurgicale coûte en moyenne 600 euros,
qui ne sont pas remboursés, ce qui pousse certains à éviter l'hôpital,
précise M. Lasfar. Mais on ne peut pas mettre en danger la vie des
enfants, c'est pourquoi nous déconseillons vivement ces pratiques.»
nordeclair.fr - 27/05/09
La circoncision réduit le risque des principales infections vénériennes
La
circoncision réduit nettement le risque d'herpés génital et d'infection
par des papillomavirus, selon les résultats de deux études cliniques,
publiés mercredi, qui confirment aussi l'efficacité préventive de cette
pratique contre le virus du sida. Les deux essais
cliniques menés en Ouganda sur 3.393 hommes hétérosexuels âgés de 15 à
49 ans ont montré une baisse de 35% de la prévalence d'infections à
papillomavirus responsables notamment de 70% des cancers de l'utérus. Pour
l'herpès, le risque d'infection a été réduit de 28% chez les hommes
circoncis, précisent les auteurs de cette recherche publiée dans le New
England Journal of Medicine daté du 26 mars. En revanche, la
circoncision n'a pas d'effet sur l'incidence de la syphilis, soulignent
les auteurs. "Cela démontre les bienfaits pour la santé publique de la
circoncision médicalement supervisée", souligne le Dr Thomas Quinn, du
laboratoire d'immunorégulation de l'Institut national américain des
allergies et des maladies infectieuses (NIAID), co-auteur de ces
travaux. "Ces résultats confirment les bienfaits importants pour la
santé de la circoncision masculine, y compris pour réduire le risque
d'infection du VIH, l'herpès génital, l'infection par les
papillomavirus et les ulcères génitaux", ajoute-t-il. Des essais
cliniques, conduits précédemment par le NIAID en Afrique, avaient
montré que la circoncision réduisait de plus de 50% le risque
d'infection par le VIH dans le cas de relations hétérosexuelles. Le Dr
David Serwadda, recteur de la faculté de médecine de l'Université de
Makerere et l'un des co-auteurs de cette étude, relève que des efforts
pour étendre la pratique de la circoncision dans la population
"pourrait avoir d'énormes effets positifs sur la santé publique" en
Afrique. "Ces nouvelles données cliniques devraient entraîner un
changement majeur du rôle de la circoncision dans la prévention, non
seulement de l'infection par le VIH mais aussi d'autres infections
vénériennes", écrivent dans un éditorial accompagnant l'étude, Matthew
Golden et Judith Wasserheit de l'Université de Washington à Seattle.
“Ces données pourraient changer la manière dont les médecins
conseillent la circoncision à leurs patients”, poursuivent-ils. Aux
Etats-Unis, le taux de circoncision est en baisse parmi les Noirs et
les Hispaniques, groupes avec la plus grande incidence d'infections par
le virus du sida, d'herpès et de cancer du col de l'utérus, notent ces
médecins. Un des deux essais cliniques conduits en Ouganda a été
financé par le NIAID et l'autre par la Fondation de Bill et Melinda
Gates.
afp.fr - 25/03/09
Haute-Normandie : halte aux mutilations
Le
CHU de Rouen a créé une unité d’accueil pour les victimes de
mutilations sexuelles. Ce service propose une prise en charge complète,
de la prévention à la réparation chirurgicale. La Haute-Normandie se
place en 2ème position des régions les plus touchées par l’excision,
après l’Ile-de-France.
Le Parisien - 27/04/09
L'Égypte, destination vacances pour petites filles à exciser
«Que
se passe-t-il en Europe ? Pourquoi ces familles installées depuis des
années hors d'Egypte renvoient encore leurs filles pour se faire
mutiler ici?» Telle est la question du docteur Ismail Ayman qui opère à
Assiout en Haute-Egypte, à propos de l'efficacité en Europe des
campagnes de sensibilisation contre l'excision. Travaillant depuis plus
de 20 ans dans le développement, ce responsable de programme pour
l'organisation humanitaire Plan international, rappelle que, dans son
pays, il a fallu un constant réajustement des stratégies de coopération
entre ONG et gouvernement pour faire évoluer les mentalités. Pourtant,
50% des petites Egyptiennes ont encore leurs organes génitaux externes
arbitrairement mutilés avant l'âge de 12 ans. Eduquer la population
reste la clé du changement. «La question de l'excision est à l'ordre du
jour du gouvernement depuis presqu'un siècle» affirme Ayman: «Nous
traitons l'excision en parallèle avec d'autres formes de violence
faites aux petites filles comme le mariage précoce. Grâce à notre
travail d'éducation, une fatwa fût émise en 2007 permettant que,
l'année suivante, le gouvernement se décide à voter une loi interdisant
et pénalisant l'excision sans appel.» Cependant, l'application des lois
sur le terrain ne reflète pas toujours les décisions officielles. Ayman
décrit qu'hormis le poids classique des traditions et des trop
nombreuses conceptions erronées de la sexualité féminine, il reste le
phénomène alarmant de la médicalisation de l'excision : « On constate
qu'il y a de plus en plus de médecins qui, pour des raisons
financières, n'hésitent pas à la pratiquer. Avant que la loi soit
votée, un médecin gagnait 50 livres (7 euros) pour l'opération.
Maintenant il peut gagner jusqu'à 200 livres.» Le salaire moyen mensuel
d'un docteur diplômé en Egypte est de 220 livres. La France reste le
seul pays d'Europe occidentale qui, sans pourtant disposer d'une
législation spécifique sur ce sujet, traduit en justice parents et
exciseuses. Ainsi on peut comprendre l'obligation pour certaines
familles de profiter d'un séjour dans leur pays d'origine pour
perpétuer leurs «traditions». On compte 55000 femmes excisées en
France et environ 35000 petites filles courraient ce risque. En réponse
à cette menace permanente, une nouvelle campagne gouvernementale a été
lancée en avril contre l'excision et le mariage forcé en prévision de
vacances d'été encore bien sanglantes et douloureuses pour ces enfants
extrêmement vulnérables. Intitulée «briser la loi du silence», cette
campagne encourage les petites filles à parler et leur donne des
contacts et conseils utiles pour notamment se protéger pendant un
séjour à l'étranger. Elle insiste notamment sur le fait que les
«mutilations sexuelles féminines sont punies par la loi» car la crainte
d'être condamné devrait dissuader les familles de commettre ce crime.
Quand bien même la loi française aide considérablement à réduire le
nombre de crimes commis sur son territoire, la disparition de
l'excision ne peut aboutir que par l'éducation des adultes en tout
premier lieu car, ici comme ailleurs, la décision se prend au niveau
parental. On soulignera la difficulté d'agir volontairement pour ses
droits et sa propre protection lorsqu'on est une enfant de 3 à 14 ans.
rue89.com - 07/05/09
Un récit de meurtre rituel au Grand Siècle : L'affaire Raphaël Lévy, Metz, 1669.
Le
25 septembre 1669 devait être un jour ordinaire dans la vie de Raphaël
Lévy. En vue des célébrations de Yom Kippour, le Nouvel An juif, ce
marchand de bestiaux quitte ce matin-là sa petite bourgade de Boulay
pour se rendre à Metz afin d'y faire quelques provisions. Dès le milieu
de l'après-midi, il est de retour chez lui, pile à l'heure pour le
début de la fête. Presque un exploit quand on sait que Boulay se situe
à une trentaine de kilomètres de Metz. Une chose paraît certaine :
l'homme n'a guère eu le temps de s'attarder en route. Cette version des
faits, Gilles Le Moyne, un habitant d'un village voisin de Boulay, n'y
croit pas un seul instant. Il faut dire que son fils Didier, âgé de 3
ans, a précisément disparu le même 25 septembre en début d'après-midi.
Et que deux témoins assurent avoir reconnu l'enfant attaché au cheval
de Raphaël Lévy. Une enquête est ouverte. Le 12
octobre, Raphaël est conduit à la prison de Metz. Le 16 janvier, le
parlement de la ville, assemblé en cour de justice, le déclare coupable
de meurtre. Le lendemain, après plusieurs séances de torture au cours
desquelles il n'a cessé de clamer son innocence, il est conduit sur le
bûcher. De ce fait divers qui fit grand bruit à
l'époque, Pierre Birnbaum livre une chronique impeccablement
documentée. L'historien relate une à une les étapes successives d'une
affaire qui apparaît aujourd'hui comme une scandaleuse erreur
judiciaire. L'instruction et le procès, rappelle-t-il, furent
littéralement bâclés. Non seulement les témoins à décharge ne furent
pas entendus, mais les témoins à charge, eux, ne cessèrent de se
contredire. Que Raphaël, face à eux, apparût sûr de lui, qu'il réfutât
point par point les accusations proférées à son encontre, qu'il
s'acharnât à souligner les erreurs commises par les experts, tout cela
ne changea rien : condamné avant d'avoir été jugé, le brave marchand de
grains n'avait aucune chance d'être déclaré innocent. Si cet essai de
micro-histoire est passionnant, ce n'est pas uniquement parce que son
auteur est parvenu à ressusciter les différents protagonistes de cette
ténébreuse affaire, en particulier ces neuf femmes dont les
dépositions, d'une violence inouïe, ont été décisives pour l'issue du
procès. Ce n'est pas non plus parce qu'il s'est évertué à refaire
l'enquête en démontrant, hypothèse la plus probable, que le petit
Didier a sans doute été la proie d'une bête sauvage. C'est
aussi parce qu'il a réussi - comme il le fit dans une précédente étude
sur l'antisémitisme pendant l'affaire Dreyfus - à mettre en évidence
les conditions sociales qui firent de Raphaël un coupable idéal. A
priori, pourtant, rien ne laissait présager qu'une telle affaire pût
éclater sous le règne de Louis XIV. Certes, rappelle Pierre Birnbaum,
le préjugé selon lequel les juifs feraient couler le sang des enfants
chrétiens pour fabriquer des matzot - du pain non levé - fait partie du
substrat de l'antijudaïsme depuis le Moyen Age. Mais, précise-t-il,
aucun juif n'a été exécuté pour cette raison depuis le XVIe siècle.
Exceptionnelle par son retentissement, et encore objet de débats parmi
les spécialistes, l'affaire de Trente, qui se solda en 1475 par
quatorze condamnations à mort, fut sans doute le dernier grand procès
pour meurtre rituel dans l'Occident chrétien. Pourquoi,
donc, cette superstition d'un autre âge réapparut-elle en cette fin du
XVIIe siècle ? La Lorraine, rappelle l'historien, fait partie de ces
territoires périphériques où les procès pour sorcellerie ont été
particulièrement nombreux. Non pas que les croyances irrationnelles y
aient été plus développées que dans d'autres provinces. Mais, parce que
la mainmise de l'Etat y fut plus tardive qu'ailleurs, les institutions
concurrentes y purent modeler plus durablement les esprits. L'Église au
premier chef, très influente dans ce diocèse-frontière de Metz où la
population se montrait particulièrement sensible aux diatribes
antijuives et antiprotestantes d'un clergé largement acquis à la
Contre-Réforme. Est-ce à dire que le procès aurait
été impossible dans le cadre d'un Etat fort ? Pierre Birnbaum, dont
plusieurs travaux portent précisément sur l'antisémitisme d'Etat, n'a
pas la naïveté de le croire. Mais, en évoquant la relative efficacité
des appels à la tolérance lancés par le pouvoir royal dans les années
qui suivirent l'affaire Lévy, il rappelle avec force une idée simple :
quand la haine antijuive se déchaîne au sein d'une communauté, seule
l'autorité suprême, donc l'État, peut servir de rempart à sa
propagation.
lemonde.fr - 08/01/09
Article 222 est publié par l’Association contre la Mutilation des Enfants 3e trimestre 2009
AME - BP 220 - 92108 Boulogne cedex
http://www.enfant.org
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