Article 222

Journal pour les Droits de l'Enfant

 

N°13 - 1 euro 4e trimestre 1998

 

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APPROCHE JURIDIQUE DE LA CIRCONCISION

par M. Abdel O., professeur de droit

 

Cet universitaire algérien tient à garder son anonymat suite aux menaces répétées des Groupes Islamistes Armés.

La circoncision est une opération qui consiste à sectionner circulairement la peau du prépuce. Elle peut être pratiquée dans un but religieux comme le font les animistes, les juifs ou les musulmans et pour des raisons médicales, en cas de phimosis (étroitesse du prépuce). Attestée dans l'Égypte ancienne dès le troisième millénaire, la circoncision était répandue chez divers peuples de l'antiquité. Cette pratique inconnue des indo-européens, semble avoir été primitivement un rite de passage marquant avec l'arrivée du garçon nubile, une initiation au mariage et à la participation à la vie du clan. Répandue dans toute l'Afrique, la circoncision est connue de presque tous les peuples noirs, même les plus reculés comme les Bantous et les Madécasses. Les indiens de l'Athabasca (Canada) la pratiquent encore.
Elle était également répandue chez les anciens Aztèques, chez les Yuacatans et en Amazonie. Appréhender la circoncision par le Droit, c'est s'engouffrer dans un vide juridique total, tant du point de vue de la législation et de la jurisprudence que du point de vue de la doctrine. A cela s'ajoute une incertitude médicale, tant clinique qu'éthique.
Le corps humain se situe au carrefour des principaux rameaux du Droit : constitutionnel, pénal, administratif, civil et international, proscrivant toutes les formes de violence physique ou morale.
Or l'aliénabilité de la personne peut être permise au médecin à condition que l'intention curative ou préventive le commande. Cette atteinte au corps doit être, bien entendu, autorisée par le patient. L'exigence d'un consentement explicite et éclairé du malade est un élément indispensable constituant la légitimation et le fondement de l'acte médical dans le cadre de la loi et du Code de déontologie.

L'aspect médical de la circoncision

L'analyse médicale de la circoncision offre aux praticiens un terrain fertile pour les fantasmes "scientifiques". De l'enrichissement de la sexualité à la prévention contre le virus du sida, la littérature médicale abonde.
L'ethnologue Toualbi, se basant sur les conclusions du docteur Matiben, présente la circoncision comme une intervention thérapeutique curative d'une part, et une mesure d'hygiène préventive d'autre part.
De ce fait, dit-il, ne découleraient que des avantages et jamais de complications. Cette intervention salutaire mettrait l'organe sexuel à l'abri d'un grand nombre d'infections (syphilis,sida, cancer de la verge,etc.).
Le docteur Al-Fangari estime que cette pratique préviendrait le cancer de l'utérus chez la partenaire du circoncis et aiderait à prolonger l'accouplement en raison du dégagement du gland.
Les docteurs Hanvas et Robert en revanche, ayant travaillé sur un échantillon d'une population juive composée de 4200 hommes, concluent en termes clairs qu'il n'existe aucune valeur prophylactique à la péritomie.
Bien plus encore, le docteur Zwang estime que la circoncision est presque toujours responsable du rétrécissement inflammatoire du méat urétral et qu'il n'y a aucune raison médicale de priver systématiquement les enfants d'une partie intégrante de leur anatomie.
Nos entretiens effectués au centre hospitalier d'Oran avec les chirurgiens à propos de leurs motivations médicales ou éventuellement religieuses, nous ont permis de constater une grande confusion, sinon le doute même sur les justifications de la pratique. A chaque entretien, la question qui servait pour lancer le débat était le pourquoi de la circoncision. Les réponses ont été, à chaque fois, orientées dans deux directions. On présente d'emblée la circoncision en référence à la religion, et on tente par la suite de la justifier scientifiquement. Au chapitre religieux, les approches des praticiens dénotent d'une grande ignorance des fondements du rite.
Pour la majorité, il s'agit d'un dogme édicté par le Coran que tout musulman doit respecter. Rares sont ceux qui savent que la circoncision n'a guère suscité l'intérêt des juristes et que sa place est tellement secondaire dans la loi islamique que les livres les plus prolixes y consacrent un espace étonnamment réduit. La circoncision n'a pas un sens religieux très particulier. Elle est juste citée à titre de pratique simplement recommandée par la Sunnah, à coté de tant d'autres règles d'hygiène.
Au chapitre médical, les réponses sont à la limite de la fable : "le sujet musulman a moins d'infections que le sujet européen.
La circoncision permet une meilleure érection. Elle diminue la sensibilité du gland, ce qui augmente le plaisir sexuel."
Face à cet imbroglio médical, comment appréhender la circoncision en Droit, lorsqu'elle est médicalisée en dehors de sa légitimité thérapeutique, c'est-à-dire lorsqu'elle ne s'impose pas en cas de malformation ou de phimosis ?

L'aspect juridique

La circoncision place le médecin dans une situation de proximité immédiate avec le corps et de ce fait a un impact évident sur l'intégrité physique de l'enfant. Il paraît curieux que la circoncision, quand elle n'est pas pratiquée à titre thérapeutique, soit porteuse d'amélioration de la santé. Dans ce contexte elle s'inscrit difficilement dans le cadre du contrat médical. Ce contrat comprend en Droit l'engagement du praticien d'apporter les soins nécessaires pour la guérison de la maladie, ce qui n'est pas le cas dans la circoncision, et le consentement du patient qui est une condition essentielle de ce contrat. Rien de tel dans la circoncision. Bien plus, le Code de déontologie algérien dispose dans son article 34 "qu'aucune mutilation ou ablation d'organe ne peut être pratiquée sans motif médical très sérieux et sauf urgence ou impossibilité, qu'après information et consentement de l'intéressé ou de son tuteur légal" (décret exécutif 92-276 du 6 juillet 1992).
Dans la relation "médico-socio-religieuse" qu'implique l'opération de la circoncision, il y a :

1° un enfant qu'on veut circoncire pour des raisons culturelles et qu'on présente comme un candidat pour l'adhésion à la communauté musulmane. Il ne s'agit pas d'un enfant malade, mais d'un sujet passif qui va subir un rite que certains peuvent considérer comme un crime social et religieux.
La question du Droit soulevée par la circoncision est posée dès lors qu'elle est pratiquée sur un nouveau-né ou même sur un enfant en âge de comprendre la signification de cet acte.
A ce sujet, nous devons rappeler que la déontologie médicale interdit au médecin d'opérer une personne privée de liberté.
En définitive, le respect de l'enfant ne passe-t-il pas par le respect de son corps qui n'appartient qu'à lui-même?
La circoncision se présente, dans l'absolu, comme une forme de violence physique et psychique qui se veut respectueuse de la tradition.

2° un médecin, complice d'une société qui a élevé la circoncision au rang de culte et a trouvé dans la médecine l'outil de sa légitimation. Le médecin abandonne son statut de thérapeute pour mettre son pouvoir scientifique au service d'une croyance. Mais le praticien a, en principe, le pouvoir discrétionnaire d'accepter ou de refuser d'intervenir. Il peut en outre faire valoir la clause de conscience.
Le contrat médical doit rester libre chez le médecin comme chez le malade. Bien entendu, dans le cas du refus d'intervenir, l'abstention doit être motivée par les principes du Code de déontologie.
Dans la relation qu'implique la circoncision, et où l'intérêt financier n'est pas absent, le médecin intervient sur le corps de l'enfant pour soutenir la demande de la société. Il n'a d'autres choix d'indications que ceux dictés par la communauté dont il est également le produit.
Il est à peu près en face de la même situation que celle de son confrère devant une demande de changement de sexe. A ce propos, Verdrine et Elchardus notent dans Droit et Éthique médicale (éd. Masson, 1989) que "le risque majeur auquel s'expose le médecin traitant un transsexuel est d'abandonner une position clinique pour glisser dans le registre de la croyance, où l'aspire la conviction de son patient."

La responsabilité médicale

Le Droit admet les interventions comportant des risques et des mutilations si un bien supérieur exige pour la santé du malade ces sacrifices. Les interventions sur le corps sans le consentement explicite du malade constituent un délit, voire un crime.
Le Droit distingue deux sortes de responsabilité : contractuelle et délictuelle. La première s'applique au médecin qui n'a pas respecté les clauses d'un contrat, tandis que la seconde est liée à une faute. Dans cette catégorie, les médecins sont appelés à répondre devant la justice du délit de droit commun, à savoir l'homicide, les blessures par imprudence, la non-assistance à personne en danger ou enfin les coups et blessures. Or si l'on considère que la circoncision n'est pas une technique thérapeutique (sauf pour le phimosis), l'intervention du médecin peut être qualifiée du délit de coup et blessure.
La responsabilité est constituée dès lors que le médecin est intervenu alors qu'il ne le devait pas. Mais dans les faits, la responsabilité est engagée en fonction des dommages et non par rapport à l'opération elle-même.
En effet, la circoncision comporte des risques, parfois mortelles. Le docteur Matiben dans sa thèse de doctorat L'aspect médical de la circoncision énumère parmi tant d'autres conséquences :

1° la souffrance paroxystique qui affecte l'enfant lors de l'opération. Celle-ci a pour cause la non-anesthésie d'où les syncopes courantes,

2° les risques d'hémorragie graves postopératoires lesquelles font souvent suite à la lésion involontaire d'asepsie,

3° les risques d'infection et d'inflammation locale faisant suite à des conditions non-hygiéniques.

A ces risques s'ajoutent parfois des complications urinaires, des lésions accidentelles d'organes environnants, des complications ultérieures comme les cicatrices douloureuses, sans oublier les cas dramatiques de castration accidentelle.
Ainsi à chaque Mawlid (nativité du Prophète), lors de circoncisions collectives organisées dans les hôpitaux, il arrive que les circonciseurs soient fatigués et coupent le gland de l'enfant, le blessant gravement ou parfois le châtrant complètement.
Remarquons enfin, que la plupart des opérations de circoncision s'effectuent sans qu'on prenne la peine de consulter le dossier de l'enfant.
Cette remarque s'impose du simple fait que les hémophiles risquent la mort si des mesures ne sont pas prises avant la section du prépuce.
Dans l'énumération que fait Sorgues (Droit et Éthique médicale, déjà cité) des fautes selon qu'elles relèvent de la technique médicale ou selon qu'elles y sont étrangères, citons celles qui ont une incidence directe ou indirecte sur les risques de la circoncision, à savoir :

1° l'imprudence, manque d'habileté manuelle,

2° la maladresse, action imprévoyante, défaut de précaution de soin ou de surveillance,

3° l'inattention résultant d'une insuffisante application dans le travail ou d'acte entrepris par légèreté, distraction ou étourderie,

4° la négligence, l'exemple du médecin qui anesthésie sans tenir compte des antécédents neurologiques du patient.

Il est rare que les familles saisissent la justice pour réparer les dommages causés par des circoncisions mal exécutées.
Pour analyser ce phénomène, nous avançons deux raisons.
La première s'explique par rapport au statut de la corporation médicale qui a pu s'immuniser, en Algérie, contre toute ingérence et tout jugement extérieur. A cela s'additionne une complaisance des pouvoirs successifs. De l'aveu même d'un praticien, l'institution judiciaire a souvent répugné à poursuivre pénalement des médecins fautifs. Cette clémence calculée a dangereusement développé dans cette profession un sentiment néfaste d'impunité. Cette situation ressemble à celle qu'a connue la France au 19e siècle lorsqu'on affirmait avec force que "le praticien ne connaît pour juge après Dieu, que sa conscience." A l'immunité médicale s'ajoute une croyance assez répandue de l'infaillibilité du médecin. Une faute commise par le praticien est souvent reliée au Mektoub (jugement d'Allah).
La deuxième raison s'explique par le caractère humiliant et déshonorant qu'une circoncision catastrophique peut créer dans la famille de la victime. On cache la circoncision-castration comme on cache l'effraction de l'hymen de la jeune fille célibataire.
Il est difficile d'évaluer le préjudice causé par la faute médicale entraînant l'ablation d'un organe sexuel. Et même si on accorde une réparation financière considérable, on ne compensera jamais cette blessure tragique.

 

ARTICLE 222 est publié par :
l'Association contre la Mutilation des Enfants,
BP 220
F-92108 BOULOGNE
ame@enfant.org
Composé et reproduit par nos soins. Dépôt légal : 4e trimestre 1998


 

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