ARTICLE 222

Journal pour les Droits de l'Enfant

 

N°12 - 1 euro 3e trimestre 1998

 

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- CIRCONCISION ET EXCISION DES MINEURS -

- DE LA POLITIQUE CRIMINELLE À LA PRÉVENTION SOCIALE -

par Maître Caroline Gonzalez

 

Les mutilations sexuelles constituent aujourd'hui un sujet d'actualité. Leur ampleur ne cesse d'augmenter chez les mineurs. N'épargnant quasiment aucun pays, elles se sont massivement développées en Europe et surtout en France.

Comment traiter pénalement la circoncision et l'excision des enfants mineurs ? Et ce traitement pénal est-il nécessaire et suffisant ?

En droit français, de tels actes sont considérés comme des atteintes à l'intégrité physique répréhensible, pour lesquels les justifications sont difficiles à trouver. Malgré l'entrée en vigueur de nombreux textes protégeant la personne humaine, le problème ne veux même pas être posé par certains. Pourtant la Déclaration des droits de l'homme, relayée par celle des droits de l'enfant, est explicite : nul n'a le droit d'attenter à l'intégrité physique des mineurs non informés et bien sûr non consentants. Toute mutilation sexuelle devrait donc en principe, être pénalement sanctionnée. Mais s'il est aujourd'hui facile d'attendrir la très grande majorité des Français et des Françaises sur les méfaits de l'excision, la circoncision n'est pas un thème qui mobilise l'opinion publique en France.

Comment une victime peut-elle agir contre celui ou celle qui l'a mutilée ?

L'exigence d'une qualification pénale adéquate apparaît comme un impératif catégorique. Le législateur doit rédiger des incriminations protectrices des personnes en des termes garantissant effectivement les intérêts des futures victimes, et avec le souci permanent d'assurer le respect des droits des futurs défenseurs. Et formellement ces incriminations doivent être libellées en termes clairs, et précis, tant dans leurs éléments matériels que moraux, afin d'éviter par la suite tout arbitraire judiciaire.

Or force est de constater que notre droit actuel ne comporte aucun texte spécial réglementant ou stigmatisant les atteintes à l'intégrité physique résultant de l'excision ou de la circoncision. Il parait donc nécessaire de rechercher un texte général pouvant englober ces pratiques. L'examen du code pénal révèle différentes qualifications susceptibles de s'appliquer. Les unes sont exceptionnellement fortes (I) alors que les autres conservent un caractère plutôt ordinaire (II).

Va-t-on criminaliser ces actes, va-t-on les correctionnaliser ? Le choix est là qui constitue parfois un dilemme pour les parquets et les juges.

I Les qualifications exceptionnelles

A première vue, la recherche d'une qualification pénale de la circoncision et de l'excision apparaît malaisée. Comment qualifier ces pratiques religieuses et rituelles ?

De la manière la plus objective, on peut dire que toutes deux portent atteinte à l'intégrité corporelle puisque la circoncision implique l'exérèse du prépuce et l'excision, celle du clitoris et des petites lèvres. Devant la gravité de ces actes, certains auteurs ont proposer la qualification de tortures et actes de barbarie. D'autres en revanche, insistant sur l'aspect symbolique de ces interventions touchant aux organes sexuels, ont pu jadis opter pour la qualification de castration qu'il convient encore aujourd'hui d'envisager, celle-ci pouvant être applicable au titre du droit transitoire.

a - torture et acte de barbarie :

Peut-on assimiler circoncision et excision à des tortures ou à des actes de barbarie ? Selon la convention de New York du 10 décembre 1984, le terme de torture désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aigües, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne. La doctrine, pour sa part, lie la notion de tortures à l'intensité de la souffrance corporelle et y voit le critère permettant de distinguer ces actes de violence ordinaire. Or s'agissant des mutilations sexuelles, il ne fait aucun doute qu'elles entraînent des souffrances importantes, l'enfant devant en quelque sorte acquitter une dette de douleur pour une plus grande part de bonheur futur. Les actes de tortures et de barbarie sont passibles de quinze ans de réclusion criminelle. Cette infraction pourra être réprimée encore plus sévèrement compte tenu des circonstances dans lesquelles elle s'est déroulée, notamment quand l'infraction a été commise sur un mineur de quinze ans par un ascendant légitime ou toute autre personne ayant autorité sur lui, ou lorsque l'infraction a entraîné une mutilation ou une infirmité permanente (article 222-5 du nouveau code pénal).

Reconnaître la qualité de tortures ou d'actes de barbarie à certaines mutilations sexuelles revient à condamner toute pratique qui vise à briser la volonté de l'homme et à détruire son humanité. L'individu a des droits qui doivent lui être reconnus parce qu'il est une personne humaine marquée comme telle du sceau de la dignité. Certes l'incrimination de « tortures » ou « d'actes de barbarie » doit être réservée à des actes graves. mais dans certains cas les mutilations sexuelles paraissent constituer de véritables traitements inhumains, comme l'illustrent tristement les atrocités commises pendant le conflit opposant serbes et croates. A ce titre le Tribunal international pénal pour l'ex-Yougoslavie, saisi d'accusations de mutilations sexuelles, pourra choisir entre plusieurs qualifications : actes de terrorisme, génocide ou encore crimes contre l'humanité. En France, les tribunaux ne retiennent malheureusement pas cette qualification. Pourrait-il alors être question de castration ?

b - castration :

A priori, il apparaît assez singulier d'envisager une telle qualification de castration à propos de l'excision ou de la circoncision. Il peut sembler en effet disproportionné d'assimiler des pratiques rituelles, certes graves, à un acte dont l'ampleur destructrice s'avère bien plus étendue. Certains auteurs considèrent que les conséquences physiologiques et psychologiques de ces actes sont si importantes que la qualification de castration doit s'appliquer. Circoncision et excision ne sont-elles pas, après tout, considérées comme des castrations même si elles sont jugées «mineures» ? Mais que faut-il entendre par «castration» ?

En l'absence de support légal, doctrine et jurisprudence ont tenté de cerner le concept de castration, et la Cour de cassation l'a finalement définie comme « l'ablation d'un organe ou l'amputation intentionnelle et non justifiée d'un organe quelconque nécessaire à la génération ». Circoncision et excision portent atteinte à une partie de l'anatomie humaine qui participe au processus de l'enfantement. On peur dire que dans les deux cas, on enlève une partie de l'organe nécessaire à la génération, ce qui entraîne souvent des complications physiologiques importantes qui privent la victime de sa faculté à donner la vie.

Qualifier les mutilations sexuelles infligées aux enfants de castration ou de tortures et d'acte de barbarie peut être dans certains cas justifié. Cependant, la plupart du temps, la jurisprudence s'oriente vers des qualifications plus ordinaires.

II Les qualifications ordinaires

La personne humaine en tant qu'intérêt pénalement protégé doit être à l'abri de toute atteinte à son intégrité physique et à sa vie.

La Convention européenne des droits de l'homme a d'ailleurs élevé la vie et l'intégrité corporelle au rang de droit subjectif appartenant à tout être humain. Dès lors, toute atteinte au corps humain doit être sanctionnée. La notion de corps humain est entendue de la manière la plus large : elle recouvre non seulement tous les éléments corporels dont la conservation intéresse la société, mais aussi certains éléments particuliers intimes comme les organes génitaux qui peuvent être plus ou moins protégés par le droit pénal. Dans la cadre de l'excision et de la circoncision, la répression s'exercera sur le fondement de qualifications, selon les hypothèses, de nature soit criminelle soit délictuelle.

a - la qualification criminelle :

Dans la perspective criminelle, la qualification envisagée est celle de violences volontaires ayant entraîné mutilation. Et il faut reconnaître que si, s'agissant de la circoncision, la qualification de violences est la première qui vient à l'esprit, s'agissant de l'excision la Chambre criminelle de la Cour de cassation s'est nettement prononcée en faveur de la compétence de la Cour d'assises. Circoncision et excision sont avant tout des actes volontaires qui entraînent une mutilation. Selon le dictionnaire Larousse, la mutilation est la perte totale ou partielle d'un membre ou d'un organe externe.

Dans le nouveau code pénal, l'article 222-9 se borne à mentionner les violences ayant entraîné «une mutilation ou une infirmité permanente». Pourrait-on dès lors prétendre que certains rites comme la circoncision ou l'excision soient de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanentes ? Toutes deux constituent en effet des blessures qui affectent le corps humain. A ce titre, elles devraient être considérées comme des mutilations, aussi minimes soient-elles.

Sous la dénomination générale de «violences», le nouveau code pénal envisage plusieurs catégories d'infractions de nature correctionnelle ou criminelle. Les sanctions applicables vont être fonction de la gravité des conséquences de l'infraction. Ainsi les violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente constituent désormais normalement un délit puni de dix ans d'emprisonnement et d'un million de francs d'amende, sans période de sûreté de plein droit. La qualification devient cependant criminelle en présence d'une ou de plusieurs circonstances aggravantes communes en matière délictuelle et criminelle. Ainsi l'article 222-10 punit de quinze ans de réclusion criminelle les violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, quand elles ont été commises sur un mineur de moins de quinze ans.

Mais si l'on ne retient pas la qualification criminelle de mutilation, comment peut-on et doit-on envisager de considérer circoncision et excision sous l'angle délictuel ?

b - la qualification délictuelle :

Choisir de retenir la qualification de délit s'agissant de ces pratiques n'est évidemment pas sans effet sur la répression qui intervient a posteriori. Les tribunaux sont, en réalité, dans un très grand embarras quant aux sanctions à appliquer aux pratiques qui font l'objet de cette étude, principalement l'excision puisque la circoncision n'a pas encore fait l'objet de nombreuses procédures pénales sur le territoire national. Comme la qualification de torture, celle de mutilation n'est réservée qu'à des actes présentant une gravité particulière. C'est pourquoi la jurisprudence est plus encline à relever une qualification délictuelle qui pose, par conséquent, le délicat problème de l'incapacité de travail et celui de la détermination de la sanction. Selon l'article 222-11 du nouveau code pénal, «les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours sont punies de trois ans d'emprisonnement et de trois cents mille francs d'amende».

A partir des textes précédemment évoqués, les parquets ont retenu les qualifications adéquates selon les circonstances de chaque espèce. La plupart du temps, les affaires portées à la connaissance des autorités judiciaires sont celles pour lesquelles des complications ont entrainé l'hospitalisation de l'enfant, sans doute en raison des conditions dans lesquelles sont pratiquées ces opérations. A ce stade de la réflexion, un constat s'avère nécessaire : qu'il s'agisse de circoncision masculine ou féminine, la personne concernée par de telles pratiques est presque toujours un enfant. Or le statut de l'enfant varie suivant les pays et les cultes. Bénéficiant d'une protection plus grande en France, l'enfant reste, ailleurs, un objet laissé à la libre disposition des adultes. Aujourd'hui comment rester impassible devant de telles atteintes à l'intégrité des mineurs ? Comment ne pas réagir face à de telles mutilations ? L'enfant est devenu le centre de nos préoccupations.

Il est «sacré». C'est une personne à part entière qui dispose de droits, droits que le législateur ne cesse de vouloir protéger et renforcer.

Pour poursuivre les circonciseurs,

contactez notre service juridique.

ARTICLE 222 est publié par l'Association contre la Mutilation des Enfants,
BP 220
F-92108 BOULOGNE
ame@enfant.org
Composé et reproduit par nos soins. Dépôt légal : 3e trimestre 1998


 

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